Les documents présentés ci-dessous sont en lien avec l’article du même titre, accessible ici.
Dans son texte, Alexandra Gottely montre comment, sous la responsabilité de Paul Viollet, la bibliothèque de la Faculté de droit de Paris connaît de très importants changements et devient un lieu de référence. Elle aborde également les spécificités de Paul Viollet dans son rôle de bibliothécaire, et dans ses liens avec les différents membres de la Faculté de droit.
Les documents présentés reviennent donc sur ces évolutions et ces particularités.
Le lieu.
Paul Viollet arrive, en 1876, à la Faculté de droit de Paris pour prendre en charge l’aménagement d’une nouvelle bibliothèque construite entre 1876 et 1878. Il est toujours responsable de la bibliothèque pour le deuxième changement d’ampleur qu’elle connaît avec la construction d’une troisième salle de lecture, triplant la capacité de la bibliothèque, entre 1893 et 1898.En complément des planches d’architecture consultables dans la galerie « Un monument disparu du patrimoine universitaire parisien », voici trois documents – une illustration et deux photographies – dévoilant l’intérieur de la bibliothèque à l’époque de Paul Viollet.


Salle principale de la bibliothèque entre 1878 et 1898, construite par l'architecte Ernest Lheureux.

Salle principale de la bibliothèque à partir de 1898, construite, comme les deux autres salles l'avaient été en 1876-1878, par l'architecte Ernest Lheureux. Cette nouvelle salle ajoute 200 places assises au 75 précédemment existantes.
Administration et organisation.
Cette construction en deux temps de la bibliothèque s’inscrit dans un plan plus général de la IIIe République. Dans cette deuxième sous-galerie sont présentés un des textes règlementaires pivot de cette évolution, accompagné d’exemples concrets des changements induits à la bibliothèque de la Faculté de Droit, avec les particularités voulues par Paul Viollet.

Texte numérisé disponible ici.
L'instruction relative aux bibliothèques universitaires est particulièrement marquante de la volonté politique de reprendre en main et d'organiser ces bibliothèques. Comme une professionnalisation encadrée. L'ensemble des tâches pratiques sont énumérées et décrites avec des préconisations très détaillées. On y trouve même des comparaisons de fournisseurs pour certains matériels et le sens dans lequel les ouvrages doivent être rangés sur les étagères.

Mise en pratique directe de l'instruction officielle, la présentation des registres d'entrée pour les ouvrages arrivant dans les bibliothèques est désormais codifiée. En voici un exemple pour la bibliothèque de la faculté de droit, avec un extrait du registre pour le mois de mai 1883.

Autre changement d'importance, pour les employés de la bibliothèque comme pour les lecteurs, le passage du catalogue sous forme de livre manuscrit au catalogue sur fiches. Sont ainsi présentés ici d'abord la page de titre de l'unique catalogue existant avant l'arrivée de Viollet, manuscrit datant de 1854, puis un exemple de fiche matière (en haut le sujet concerné, en dessous le renvoi vers les documents correspondants) du nouveau catalogue.

Si le nouveau catalogue de la bibliothèque de la faculté de droit comporte, selon les instructions du ministère, des fiches par auteurs et par sujets, Paul Viollet met en place également un fichier de dépouillement d'un certain nombre de périodiques, particularité de la bibliothèque très appréciée des lecteurs.

Ce document-ci est lié à la fois à l'histoire de l'organisation de la bibliothèque et à la personnalité de Paul Viollet. En effet, autre élément important mis en place, de nouveaux règlements intérieurs sont élaborés dans les années 1880. Ils définissent évidemment les conditions de consultation pour les lecteurs, mais aussi l'organisation administrative de chaque bibliothèque, notamment concernant les responsabilités de chacun dans les acquisitions d'ouvrages. Or ce règlement-ci, élaboré par le doyen Beudant avec l'aval du ministère, est à l'origine d'un conflit avec Viollet : la nouvelle organisation impliquant des horaires d'ouverture accrues, Viollet refuse de le mettre en place tant que des compensations n'ont pas été fixées pour les employés de la bibliothèque chargés de l'accueil. Le conflit dure un certain temps, avec le ministère et le rectorat en arbitre. Au final, Viollet se révèle inamovible, contrairement au souhait de Beudant, mais contraint d'appliquer le règlement en l'état (de nouveaux postes viennent toutefois étoffer le personnel de la bibliothèque au fil des années).

Cette affiche d'information à l'attention des lecteurs donne un aperçu de l'évolution des horaires au long de l'époque de Viollet, comparés à ceux du règlement de 1887. Deux choses peuvent être relevées. D'une part, on voit que les horaires sur la journée n'augmentent pas, contrairement au nombre de jours d'ouverture dans l'année. D'autre part, ces documents rappellent que la question des horaires d'ouverture est une constante de la vie des bibliothèques, et de la carrière de Viollet. Sans aller jusqu'au conflit ouvert comme avec Beudant, les négociations de Viollet se répètent à chaque changement d'horaires demandé par les doyens, que ce soit Ernest Glasson ou Charles Lyon-Caen notamment, avec à chaque fois les mêmes demandes de compensations pour le surcroît de travail exigé des employés de la bibliothèque.

Le dernier document présenté dans cette sous-galerie est rédigé par Viollet peu de temps avant sa mort. Contrairement aux directeurs des bibliothèques universitaires classiques, le bibliothécaire de la Faculté de droit a la particularité de ne pas dépendre directement du recteur, mais du doyen. Ce qui peut expliquer un certain nombre des tensions que connaît Viollet avec certains d'entre eux au cours de sa carrière. Ici, après trente-huit années de services, Viollet écrit au secrétaire de la Faculté pour revenir sur le fonctionnement de la bibliothèque et le partage des tâches avec celui-ci. On y lit les difficultés rencontrées mais aussi l'attachement de Viollet à l'établissement et sa préoccupation constante d'améliorer son fonctionnement.
Transcription : « Faculté de Droit
Bibliothèque
Université de Paris
Paris, le 17 janvier 1914
Cher Monsieur,
Ne vous semble-t-il pas utile d'essayer de préciser entre nous quelques points touchant les rapports administratifs du secrétariat et de la Bibliothèque. Nous pouvons rendre par une entente commune ces rapports aussi faciles qu'agréables. À la Faculté de droit, la Bibliothèque n'est pas, comme à la Sorbonne ou dans les universités de province, un service autonome ayant à sa tête un chef en rapports directs avec l'administration supérieure. Elle est sous la dépendance immédiate du doyen qui, de ce fait, a, sous ses ordres, deux chefs de service, égaux entre eux, et responsables l'un et l'autre devant lui : le secrétaire et le bibliothécaire. Il résulte de cette situation un certain enchevêtrement dans les attributions respectives de ces deux chefs de service, enchevêtrement que vient compliquer l'enchevêtrement matériel des locaux. Dans plusieurs circonstances, une collaboration [...] »

Transcription : « [...] étroite s'impose entre le Secrétariat et la Bibliothèque.
Le paiement des appointements mensuels du personnel de la Bibliothèque, l'expédition à qui de droit des mémoires et des factures de la Bibliothèque, le chauffage et tout ce qui se rattache à l'entretien de l'immeuble sont autant de services confiés aux bons soins du secrétariat. Or tous ces services ne peuvent être réguliers et satisfaisant – n'est-il pas vrai ? – que par une entente entre le Secrétariat et la Bibliothèque.
De même encore les pièces administratives intéressant soit la Bibliothèque, soit le secrétariat et la Bibliothèque sont presque toujours adressées au doyen et remises au secrétaire. Il importe grandement que ces pièces soient régulièrement communiquées au bibliothécaire par extrait ou in extenso. Le bibliothécaire est chargé seul de préparer la réponse lorsque l'affaire n'intéresse que la Bibliothèque et de présenter ce projet de réponse à la signature du doyen s'il s'agit d'une affaire intéressant les deux services, il est nécessaire que le secrétaire et le bibliothécaire commencent par s'entendre. Autrement c'est l'imbroglio ou le désaccord.
Il importe non moins que, dans les cas où une affaire intéressant le secrétariat et la Bibliothèque a donné lieu à une réponse préparée par le secrétariat et signée par le doyen, le texte de cette réponse soit communiquée au bibliothécaire qui sans cela ignorerait une partie de son propre service.
Je serais heureux, cher Monsieur, d'être d'accord avec vous [...] »

Transcription : « [...] sur ces différents points et je me plais à penser que vous estimez avec moi que par une entraide réciproque nous parviendrons à gérer au mieux nos services respectifs.
J'arrive à l'âge de la retraite, et j'avais toujours eu l'ambition de léguer à mes successeurs un état de choses, dégagé de toute obscurité et confusions. Ayant la bonne fortune de finir avec vous ma carrière administrative, j'ai aujourd'hui l'espoir de réaliser ce vœu.
Veuillez agréer, cher Monsieur, l'assurance de mes sentiments dévoués.
Paul Viollet
Bibliothécaire »
Une personnalité.
La sous-galerie précédente a déjà commencé à évoquer la personnalité de Paul Viollet, mais celle-ci y est entièrement consacrée. Où l’on voit que le personnage, entier, ne laisse pas ses convictions à la porte de sa bibliothèque, et que ses rapports avec les autres membres de la Faculté restent mal définis jusqu’à l’heure de ses funérailles.
« Faire ce qui est juste » est sans doute une des clés de compréhension des actions de Viollet. Ses engagements dans l’affaire Dreyfus et pour les indigènes sont abordés dans d’autres articles et galeries de cette exposition. Mais son sens de la justice s’exprime aussi dans son approche du rôle de bibliothécaire. On l’a un peu vu dans les négociations pour les rémunérations des employés de la bibliothèque, en voici un exemple avec cette lettre envoyée au doyen à l’occasion d’un vol commis par un étudiant.

Transcription : « À M. le Doyen de la Faculté de Droit de Paris.
Paris, le 24 janvier 1900.Monsieur le Doyen,
Permettez-moi de vous soumettre à l'occasion du fait signalé dans ma lettre du 18 janvier quelques observations que je vous serais vivement reconnaissant de vouloir bien communiquer au Conseil de l'Université. Un étudiant en droit a été surpris au moment où il tentait d'emporter un livre appartenant à la Bibliothèque. Si des faits de ce genre, extrêmement difficile à constater, n'étaient pas très sévèrement réprimés, les collections de l'État seraient littéralement au pillage. Je me vois donc obligé de demander, pour tous actes de cet ordre, des peines très sérieuses. L'impunité ou la quasi impunité aurait le double inconvénient d'écarter toute appréhension du côté des lecteurs tentés d'emporter les livres et de décourager complètement les surveillants. Qu'il me soit permis d'ajouter quelques considérations d'un ordre plus élevé : elles me conduiront à préciser ma pensée quand je parle de répression. N'est-il pas nécessaire que la carrière de la magistrature soit fermée à quiconque s'est rendu coupable d'un vol dans sa jeunesse ? [...] »

Transcription : « [...] C'est là une pensée qui est présente à l'esprit de tout surveillant, de tout employé de la bibliothèque. Il ne comprendra jamais qu'un délinquant ainsi saisi puisse acquérir les titres universitaires qui lui donneront la possibilité de juger un jour ses concitoyens, de juger peut-être celui-là même qui l'a pris en flagrant délit de vol.
Je suis donc conduit à demander pour un acte de ce genre l'exclusion absolue de toutes les facultés de Droit. Que deviendrait le principe de l'égalité de tous les Français devant la loi, si dans un pays où le vol d'un pain est puni par les tribunaux, dans un pays où la mendicité est un délit non seulement inscrit dans la loi mais poursuivi et réprimé efficacement, si le fait dont je m'occupe était considéré comme un acte fâcheux sans doute mais négligeable ou presque négligeable ? Il y aurait alors très évidemment deux lois en France, l'une pour les petits et les illettrés, l'autre pour la classe lettrée ! Et celui qui a plus d'instruction bénéficierait d'une loi plus douce !
Telles sont les considérations qu'avec votre permission, Monsieur le Doyen, je soumets au Conseil de l'Université dans l'intérêt du dépôt qui m'est confié aussi bien [...] »

Transcription : « [...] que dans l'intérêt général de la société !
Veuillez agréer, Monsieur le Doyen, l'assurance de mes sentiments respectueux.
Le Bibliothécaire
Paul Viollet. »
Les documents suivants sont, d’une part deux exemples de fiches d’évaluation de Viollet, et d’autre part un ensemble de lettres échangées au moment de la mort de Paul Viollet. Ces pièces laissent voir les ambiguïtés de la position des membres de la Faculté vis-à-vis de Viollet : ni uniquement bibliothécaire, ni vraiment juriste à leurs yeux ; pour le doyen Larnaude, il n’est pas membre de la faculté, qui ne se rendra pas en robes aux funérailles.

Transcription : « Ministère de l'Instruction publique et des Beaux-arts.
Direction de l'enseignement supérieur.
3e bureau.
Faculté de Droit de Paris.
Personnel des secrétariats, bibliothèques, archives, musées et collections.
Renseignements confidentiels.
Nom et prénoms du fonctionnaire : Viollet, (Marie, Paul).
Fonctions : Bibliothécaire, archiviste.
Caractère, conduite et habitudes sociales : Habitudes sociales très honorables ; caractère difficile, tenace à l'excès.
Rapports avec ses chefs : Beaucoup meilleurs que par le passé, mais condamnés par les précédents à rester toujours tendus.
Rapports avec le public : Bons
Sagacité et jugement. Fermeté. Exactitude et zèle. Instruction. Aptitude. En quoi excelle-t-il ? En quoi est-il faible ? : Homme d'un mérite reconnu, connaissant mieux que personne les conditions d'une bonne tenue des bibliothèques publiques, M. Viollet dirige très bien le service dont il est chargé, il n'y prend pas la part effective qu'exigerait l'organisation de la bibliothèque de la Faculté. De là sont venues les difficultés passées ; rien ne modifiera à cet égard la situation acquise.
Se livre-t-il à des travaux étrangers à ses fonctions ? : Études et travaux importants sur l'histoire.
A-t-il encouru des peines disciplinaires ou des avertissements ? : "
A-t-il droit à l'avancement ? : Il demande depuis longtemps une augmentation de traitement ; elle serait due à l'importance de ses publications. »

Transcription : « Ministère de l'Instruction publique, des Beaux-arts et des Cultes.
Direction de l'enseignement supérieur.
4e bureau.
Bibliothèque universitaire de la Faculté de Droit.
Renseignements confidentiels.
Nom et prénoms du fonctionnaire : Viollet Marie Paul.
Fonctions : Bibliothécaire.
Caractère, conduite et habitudes sociales : Parfaits.
Rapports avec ses chefs : Excellents.
Rapports avec le public : Tout particulièrement utile au public à cause de sa science.
Sagacité et jugement. Fermeté : Aussi ferme que bienveillant.
Exactitude et zèle : Au-dessus de tout éloge.
Instruction : Membre de l'Institut, ce qui dispense de toute autre explication.
Aptitude : Professeur à l'École des Chartes ; c'est tout dire.
En quoi excelle-t-il ? : En tout.
En quoi est-il faible ? : Rien.
Se livre-t-il à des travaux étrangers à ses fonctions ? : Est en outre professeur à l'École des Chartes.
A-t-il encouru des peines disciplinaires ou des avertissements ? : Jamais.
A-t-il droit à l'avancement ? : Non. »

Transcription : « Paris, le 23 nov. 1914
Monsieur le Doyen,
Dans son testament mon père demande qu'aucun discours ne soit prononcé sur sa tombe.
Je tiens à vous en prévenir d'urgence et vous prie d'agréer l'expression de mes sentiments respectueux.
J. Viollet
Les obsèques de mon père auront lieu mercredi à midi à l'église St Étienne du Mont. »

Transcription : « Cabinet du Doyen
[Réponse à la lettre :] J'estime avec vous que la Faculté ne doit pas assister en robe aux obsèques de M. Viollet, mais elle ferait bien d'y assister en corps.
L. Liard
Université de Paris
Faculté de droit
Paris, le 23 novembre 1914
Monsieur & cher recteur
Il n'y a aucun précédent qui puisse me guider dans la question de savoir si la Faculté doit assister en robes aux obsèques de M. P. Viollet. M. P. Viollet ne faisant pas partie de la Faculté, aux séances de laquelle (assemblée, conseil), il n'assiste pas, il me semble [...] »

Transcription : « [...] que vous ne devez pas le considérer comme un collègue, d'autant plus que lui même n'a pas de costume officiel, et que par conséquent il doit suffire que nous assistions en costume de ville.
Je me conformerai d'ailleurs sur ce point aux instructions ou à l'avis que vous croirez devoir me donner.
Croyez, M. et cher recteur, à mes sentiments affectueux et dévoués.
F. Larnaude »

Transcription : « Université de Paris
Faculté de Droit
Paris, 24 nov. 1914
Les Membres de la Faculté se réuniront, Mercredi 25 novembre 1914, à 11 heures 3/4 salle Goullencourt, pour se rendre en corps aux obsèques de Mr Viollet, bibliothécaire.
Tenue de Ville »