La carrière de Paul Viollet à la Faculté de droit s’inscrit dans le contexte de la IIIe République et de l’après-guerre de 1871. La France tente alors de répondre à la question « pourquoi avons-nous été défaits par l’Allemagne ? » et le modèle allemand est examiné dans tous les domaines. Dans celui de l’enseignement supérieur, la vitalité et la richesse de la production scientifique, mais aussi celle, liée, des bibliothèques universitaires outre-Rhin, est soulignée par diverses personnalités. S’il existe plusieurs ouvrages français sur l’art des bibliothèques, un des manuels de bibliothéconomie de référence à l’époque est d’ailleurs la traduction d’un manuel allemand, rédigé par le Dr Arnim Graesel, bibliothécaire à l’Université de Berlin, et paru en 1890 en Allemagne et en 1897 en France.
La première étape dans la mise en place de bibliothèques universitaires dignes de ce nom a lieu dès 1873 : l’article 9 de la loi de finances du 29 décembre de cette année-là instaure des droits de bibliothèque de 10 francs à payer en supplément pour chaque étudiant s’inscrivant dans une université française. L’objectif est d’alimenter un fonds commun pour le financement des bibliothèques. Un certain nombre d’arrêtés et de décrets suivent cette mise en place. Parmi ceux-ci, le texte le plus important est sans doute l’instruction générale relative au service des bibliothèques universitaires du 4 mai 1878. Le texte indique avec une grande précision les différentes étapes de ce que l’on appellerait aujourd’hui le circuit du document, mais aussi d’autres détails d’organisation de la bibliothèque. Il suffit d’en relever les titres pour avoir une idée de la précision des instructions :
- Urgence de cette instruction.
- Devoirs du bibliothécaire.
- Détail des opérations de classement (1. Timbrage ; 2. Numérotage ; 3. Inscription au registre d’entrée-inventaire ; 4. Inscription au catalogue alphabétique ; 5. Inscription au catalogue méthodique ; 6. Intercalation des cartes aux catalogues alphabétique et méthodique ; 7. Placement des livres sur les rayons).
- Mesures d’ordre et de conservation ; bulletins de demande ; prêt des livres ; récolements ; état des ouvrages disparus ; reliures ; nettoyage.
- Classement des manuscrits.
- Autographie du catalogue.
- Modèles d’états, ordre successif des opérations de classement expliquées et détaillées dans cette instruction.
Et les circulaires complémentaires s’accumulent durant les années 1880, sur les règlements intérieurs, les modes d’acquisition, le droit au prêt, la répartition des volumes de thèses entre les bibliothèques, les échanges avec les universités étrangères…
Tout est précisé, jusque dans le moindre détail, pour que, selon un tracé commun, les bibliothèques universitaires françaises se mettent en ordre de marche : ce ne sont, par exemple, pas seulement les éléments de contenu à indiquer qui sont évoqués, mais bien les marques de registres et les différents systèmes de catalogues sur fiches, avec comparaison des défauts, des avantages, et des préférences ministérielles. On trouve même précisé le sens de rangement des ouvrages sur les rayons, de bas en haut, système qui déroute encore aujourd’hui les nouveaux venus à la bibliothèque Cujas.
Tout est donné, y compris des crédits, exceptionnels pour la construction des bâtiments ou l’acquisition de documents dans une vente aux enchères importante, mais aussi réguliers : le budget de la bibliothèque s’élève à environ 5 000 francs par an entre 1876 et les années 1880, il monte progressivement pour atteindre 9 800 francs en 1894, il est enfin de 21 360 francs en 1914, à la mort de Paul Viollet.
Ainsi, la professionnalisation des usages à la bibliothèque de la Faculté de droit sous Paul Viollet, tout comme la mise en place d’outils de signalisation et de recherche bien plus efficaces, sont étroitement coordonnées et encouragées par l’administration.
La même conclusion est d’ailleurs à donner sur la rénovation et la construction de nouveaux locaux et sur l’accroissement du personnel. À la même époque, toutes les bibliothèques universitaires parisiennes – la bibliothèque de l’Université (Sciences et Lettres), celles de la Faculté de droit, celle de médecine, celle de pharmacie et celle de théologie – se voient installées dans de nouveaux bâtiments ou dans des bâtiments réhabilités.
Concernant l’augmentation des collections, passées d’environ 25 000 volumes en 1876 à environ 112 000 volumes en 1914, les particularités de l’époque jouent également un rôle important.
En effet, moins marquée proportionnellement que dans d’autres domaines, l’augmentation du nombre d’étudiants en droit (2 500 en 1865, plus de 8 000 au début du xxe siècle), et de docteurs en droit, amène une augmentation parallèle du nombre de lecteurs, et du nombre de thèses arrivant chaque année dans les collections de la bibliothèque. Ainsi, de 150 thèses de Paris entrées à la bibliothèque en 1881 (75 thèses en double exemplaire), on passe à 819 thèses en 1901 (273 thèses en triple exemplaire) et on monte jusqu’à 1 086 thèses (362 thèses en triple exemplaire) en 1911, avant de retomber, compte tenu des circonstances, à 681 thèses (227 thèses en triple exemplaire) en 1914.
Une donnée importante est aussi la multiplication des enseignements professés à la Faculté. Entre 1876 et 1914, se sont rajoutés au moins les enseignements suivants : histoire du droit public français, droit public général, droit constitutionnel comparé, histoire des traités, économie sociale comparée, histoire des doctrines économiques, statistique, législation et science financières, législation et économie industrielles, économie coloniale, législation coloniale, législation et économie rurales. Or, chaque nouveau cours crée, renforce ou multiplie un domaine d’acquisition.
Par ailleurs, les publications scientifiques, revues et monographies, se multiplient à cette époque, ce qui explique en partie l’accroissement des collections.
Mais Paul Viollet est loin d’être un simple employé qui suit des règles et des modèles, et il ne suffit pas, même si c’est très utile, d’avoir des crédits pour bâtir une bibliothèque de référence.